Douce Lune de Russie [PV Viggor Borgisov]

» Suite du Grand Parc

Comment s'était elle enlisée à ce point dans une situation précaire ? Lachésis se remémorait comment avait débuté cette soirée : elle avait été surprise par la pluie en revenant du port de Meugns-en-Joux, avait monté dans une cabine. Elle s'était perdue dans le parc sur le chemin du retour au Consulat et s'était retrouvée dans un bistro pour se réchauffer un peu. Puis, la situation s'était envennimée... Un homme était entré dans l'établissement, avait mangé et était ressorti. Lachésis l'avait suivi, pour une raison encore inconnue de son esprit... Puis, cet homme s'était révélé plus charismatique qu'Apollon sur son char, avait pris possession de sa raison et l'avait convaincue de passer la nuit avec lui dans une auberge. Victime de son orgueil, Lachésis avait accepté et l'avait conduit jusqu'à l'auberge la plus proche. Au moins avait-elle eut un peu de jugeote et avait choisi l'auberge qui appartenait au Consulat, elle était en sécurité. Précaire sécurité, mais sécurité tout de même. En plus, c'était l'auberge la plus près du bistro où ils s'étaient trouvés quelques instants auparavant. Ils n'avaient pas beaucoup bavardé en route et avaient prit la première calèche qui passait par là. Sans un mot, avec des regards lourds de sous-entendus, ils avaient débarqués devant l'auberge.

Lachésis connaissait l'endroit comme elle connaissait sa chambre. Elle s'y rendait si souvent après une longue journée à écouter le Sénat la saouler d'explications protocolaires et elle se plaisait à venir y boire une coupe de vin rouge ou blanc à sa table réservée. Elle ne se surprit pas de voir encore de la lumière derrière les carreaux impeccables de l'établissement. L'aubergiste et sa femme dormaient rarement avant les trois heures du matin et se réveillaient aux petites heures. Elle se glissa dans l'auberge talonnée par son invité qui projetait son ombre imposante sur elle. Encore une fois le contraste la frappa de plein fouet... Elle si frêle, si menue et lui si grand et si... fort ? Elle s'imagina sans bien de mal de quoi elle aurait l'air dans ses bras puissants, endormie dans le creu de son épaule aussi grande que sa propre tête et sentir les mains du russe sur sa peau si délicate.

L'auberge était éclairée par les lampes ambariques et un lustre dans le vestibule. Une seule table était occupée par un vieillard qui était plongé dans la lecture d'un roman très épais. Dasha, la femme de l'aubergiste, une Ukrainienne, la salua d'un sourire gratifiant.

- «Ah ! Miss de Villars. Cela fait des lustres que je ne vous ai pas vue.»

Son sourire s'effaça lorsqu'elle remarqua la carrure du russe.

- «Vous avez un invité ?»

- «Un ami à moi, il est arrivé à Evergloth récemment...»

Elle reprit son éternel sourire avant de tendre une coupe de vin rouge à Lachésis. Celle-ci la repoussa du revers de la main.

- «Pas ce soir, Dasha. Mon coeur ne saurait souffrir une autre ration d'alcool. Je suis venue pour avoir une chambre... Une suite de préférence.»

L'aubergiste semblait quelque peu désarçonnée, mais elle prit son recueil et parcourut la page d'un geste rapide. Puis, elle prit une clef derrière elle et la tendit à Lachésis.

- «La plus belle suite pour vous, Miss de Villars...»

- «Merci. Je réglerai la note à l'aube. Oh ! Apportez une bouteille de vodka et deux verres...»

Lachésis guida son invité jusqu'au troisième étage où attendait la suite la plus douillette et la plus spacieuse de l'auberge. La pièce était vaste et très chaleureuse. Un foyer à l'âtre de pierre meublait le mur austral et deux fauteuils et une table basse étaient aménagés devant le feu ardent. À l'opposé, un lit trônait sur un promontoire de bois laqué, un lit à baldaquins aux draps de soie crème et à l'édredon d'un bleu royal. Il y avait également une salle de bain privée, une grande fenêtre couverte de rideaux épais comme au théâtre et une bibliothèque comportant une dizaine de livres. Lachésis referma la porte derrière le bourgeois et se débarrassa de sa cape encore humide et du manteau que lui avait prêté son invité. Sa robe était toujours un peu froide, mais elle décida que de se réchauffer devant un bon feu de bois serait amplement mérité. Elle lissa la jupe de sa robe noire. Sa robe avait emprunté les formes de son corps, lui conférant des airs de veuve noire. Ses manches noires étaient serties de broderies fines et subtiles d'un noir violacé et son décolleté remonté par un corset caché sous sa robe laissait apercevoir discrètement quelques formes féminines bien définies. Une rivière de diamants coulait le long de sa gorge jusqu'à se perdre dans sa robe. Elle enleva ses escarpins sans aucune gêne, se retrouvant pieds nus.

Certes, il n'était pas de coutume chez les jeunes bourgeoises de bonne famille de montrer leurs pieds sans chaussures à un gentlemant, mais Lachésis n'était pas une bourgeoise de bonne famille soucieuse des bonnes manières. De plus, ses escarpins avaient écorché ses pieds qui étaient rouges à certains endroits. Elle eut une grimace de douleur lorsqu'elle enleva son escarpin gauche et remarqua une légère coupure sur son talon d'où un mince filet de sang s'échappait. Elle se laissa choir sans plus de cérémonies dans le fauteuil le plus près devant un feu ardent. La chaleur l'inonda presque automatiquement et elle se sentit enfin reprendre des couleurs et reprendre ses esprits, par la même occasion. Elle se souvint que le russe était toujours là. La stratège lui fit donc signe de venir la rejoindre.

La porte s'ouvrit doucement sur Dasha qui apportait une bouteille de vodka de Russie et deux verres remplis de glace. Elle apporta également des quartiers de citron. Lachésis en était ravie. Elle n'appréciait guère le goût de la vodka, si au moins elle pouvait l'agrémenter d'un peu de saveur... Elle remiercia Dasha qui sortit de la pièce en leur souhaitant bonne nuit d'une façon presque grivoise. Lachésis servit un verre de vodka à Kayne et fit de même pour elle. Elle ajouta deux tranches de citron qu'elle noya allègrement dans sa vodka.

- «La chambre vous sera louée pour une semaine, aux frais du Consulat. Cette suite sera donc la vôtre et un repas chaud vous attendra tous les soirs et le dejeûner tous les matins.»

Elle lui adressa un sourire las et plongea ses lèvres dans son verres. Elle eut du mal à réprimer une grimace et sentit le liquide transluscide percer sa gorge et se frayer un chemin sans peine dans son oesophage.

- «Alors, maintenant que vous avez réussi à me faire entrer dans une chambre avec vous, qu'attendez-vous de moi ?»

Lachésis qui avait tant espérer retourner au Manoir pour y dormir dans un confort presque pathétique se dit que cette soirée n'était pas si mal finalement...

Viggor esquissa un sourire. Cette femme était magnifique, puissante, pleine d'esprit et de force de caractère. Il la connaissait de réputation, pourtant il dût ne put s'empêcher d'être épaté par le goût de la noble. La chambre était sublime, il s'y sentait comme dans le bon vieux temps, dans le manoir de son ami le Duc Hellsinger. Pourtant, il y avait dans cette salle une touche d'esthétique féminine qui avait toujours échappé à son ancien compagnon. Le russe en fût grandement satisfait. Tant qu'un moment il observa la pièce, savoura jusqu'aux jeux de lumières qui s'y jouaient en silence. De plus, miss de Villars avait choisie de la vodka. Excellent choix, qui avait surpris plus que tout le faux-noble. Rares étaient les femmes qui changeaient leurs habitudes pour leurs invités de cette manière. Avide de confort et charmé par les édredons de velours, Viggor laissa ses affaires aux pied du lit et s'y étendit vivement. Après tout ce voyage, ce confort n'était pas de trop... Il sourit, ferma les yeux quelques secondes et lança de sa voix grave ;
- Vous êtes une femme pleine de surprises, miss de Villars...

Le russe entrouvrit les yeux et observa cette dernière de la tête aux pieds. Elle était véritablement belle, les hommes devaient souffrir de ne pas pouvoir s'en approcher davantage. Et lui pourtant, posait librement ses yeux sur elle, savourait sa fine silhouette, et plus intrigué que fébrile, s'approcha vers elle pour répondre d'une voix douce à la question qu'elle venait de lui poser.
"Alors, maintenant que vous avez réussi à me faire entrer dans une chambre avec vous, qu'attendez-vous de moi ?"
- Je vous l'ai déjà dis mademoiselle. J'ai nombre de sujets dont j'aimerais m'entretenir avec vous...
Le russe se servit un verre de vodka, l'éleva devant lui et indiqua à sa compagne qu'il voulait trinquer. Son verre n'était qu'à moitié plein, à la mode shooter.
- Permettez que je vous montre comment l'on boit la vodka... ajouta-t-il avec un fin sourire de renard.
- Que nos corps se réchauffent et nos âmes s'apaisent.. Je bois ce verre à votre santé, à celle de votre bon goût et à notre rencontre. Proust !*
[*Peut se traduire par "Santé !", en allemand]

Fini d'un trait, le verre alla aussitôt rejoindre la table juste à côté. La main ainsi délestée prit avec fougue et douceur la taille de Lachésis, la ramena tout contre son torse. À ce point, le charme de la pièce avait fait son travail. L'alcool et la chaleur y contribuaient aussi. Viggor plongea son regard sévère dans celui de la fine dame. Il n'était pas homme à être aspiré dans un décolleté, mais bien à savourer l'ensemble du tableau. Elle était magnifique. Il ne la connaissait que peu, mais Viggor en était certain, il donnerait sa vie pour sauver une telle perle rare. Sa vie si dénuée de valeur, portée seulement à cet unique désir de vengeance. Aussi Borgisov fût-il drastique et direct.
- Je ne m'appelle pas Kayne Hellsinger, pas plus que je ne suis un noble.
Un silence flotta une petite seconde, le temps de laisser réaliser ce qui était dit.
- Je suis sûr que vos yeux ne furent point dupes du titre que j'essaie d'arborer, et en aucun cas je n'ai l'intention de vous cacher la vérité une seule seconde de plus. J'ai besoin de votre aide, Lachésis... Et si vous le voulez bien, j'aimerais vous confier la raison de ma venue à Evergloth...
Il prit sa main au creux de sa paume, fit glisser ses doigts le long de sa colonne jusqu'entre ses omoplates, et sans cesser de fondre son regard en elle, ajouta...
- Je ne crois pas que notre rencontre soit le fruit du hasard... Je ne crois pas au hasard... Vous pouvez me jeter hors de cette pièce, me faire exécuter si cela vous chante. Je suis à votre merci, car j'ai besoin de vous...

... mais si vous voulez toujours partager cette chambre avec moi...

... je vous promets un récit qui ne vous laissera pas de glace...

... et bien plus encore, si vous le voulez bien...

De pareilles paroles tombaient à pic. Le corps du russe était chaud et rassurant, irradiait une odeur envoûtante. Ses longs cheveux tombaient par dessus ses oreilles, sa chemise laissait apercevoir ses muscles de travailleur. Et ses yeux verts, deux phares d'émeraude perçant l'âme de la belle comme le harpon perce le poisson, se rapprochaient, hypnotisants, porteurs d'un présage bercé de douceurs...

[Pardon pour l'attente darling. J'espère que ce post te convient surtout. Smile

]

Lachésis n'avait jamais vraiment apprécié la vodka. Elle trouvait goût en des vins corsés et fruités ou en une flûte de champagne cristallin. Bourgeoise de bonne famille ? Certes. Les parents d'Emila de Villars étant nobles avant la Révolution, ils ne perdirent par leurs bonnes habitudes, lèguant celles-ci à leur fille. Cependant, Lachésis n'avait rien d'une dame de la Cour conventionnelle. D'ailleurs, si elle avait fait partie de celle-ci, le Roi aurait crié au scandale. En effet, Lachésis était une femme au caractère inoxydable et ses méthodes peu orthodoxes auraient été fermement critiquées dans un milieu noble et aristocratique.

Quoiqu'il en soit, elle avala le reste de son verre avec une grimace éloquente et mordit dans une tranche de citron. Elle avait aperçu son invité s'étendre dans le lit de velours. Elle mourrait d'envie de s'y étendre également pour profiter d'une nuit de sommeil bien méritée, ses activités de la journée l'avaient totalement épuisée. La bourgeoise sentit son ventre s'agiter sous l'effet de la faim. Elle devrait bien attrapper quelque chose à manger avant d'aller dormir. En cet instant sa tête n'était pas à dormir, cependant. Son interlocuteur se leva, toujours aussi grand et aussi imposant. Ce n'était pas un rêve ou une illusion, il était véritablement colossal. Lachésis ne pouvait s'empêcher de penser qu'il ferait ce qu'il voudrait d'elle si l'envie lui en prenait. Si grand, si fort, il n'aurait aucun mal à la soulever de terre ou à l'obliger à s'immobiliser. Malgré tout, elle ne ressentait aucune peur, aucune appréhension, aucune crainte par rapport aux desseins du russe.

Elle se retourna à la façon d'un félin lorsqu'il s'adressa à elle, un éventail de mèches noires balayant la lueur du feu dans l'âtre. Les pupilles de la belle se dilatèrent, une lueur intriguée passant brièvement devant leur face. Elle le regarda se servir un verre et nota que l'avant-bras de l'homme faillit toucher sa poitrine. Elle se demandait si cela était calculé ou si elle se faisait des idées. Son sens de l'observation ne lui faisait jamais défaut. Elle se resservit également en entendant qu'il allait lui montrer comment consommer la vodka. Lachésis leva également son verre, un sourire amusé, presque enfantin, candide, sur les lèvres.

- Que nos corps se réchauffent et nos âmes s'apaisent.. Je bois ce verre à votre santé, à celle de votre bon goût et à notre rencontre. Proust !

Le verre de la belle alla tinter sur celui du russe et elle le but d'une traite, une autre grimace colorant ses lèvres. Que nos corps se réchauffent... Encore une fois, elle ne put s'empêcher de repasser cette phrase dans sa tête. Que nos corps se réchauffent. Bon nombre de gens auraient affirmé que Lachésis n'était pas tout à fait elle-même, que de se laisser impressionner par un homme n'était pas dans ses habitudes et que d'ordinaire elle n'aurait pas avalé de vodka sans citron. Elle faisait un effort surhumain pour ne pas s'emparer d'une moitié de citron et mordre dedans à pleines dents. Après que le goût d'alcool s'eut atténué quelque peu, elle put focaliser son attention sur son interlocuteur. Elle eut à peine le temps d'ouvrir la bouche pour lui dire quelque chose qu'elle sentit la puissante main de Kayne sur sa taille l'attirer à lui. Elle sentit son dos se soulever, son bassin vint se coller contre la hanche musclée de l'homme et sa poitrine vint malencontreusement se coller à son abdomen. Elle posa sa main droite sur le torse du russe, ses cheveux chocolat assombris par la noirceur de la pièce encâdrant son visage et venant se glisser sur ses lèvres douces. Elle leva ses yeux mordorés et croisa le regard du russe.

Maintenant qu'elle était si près, elle distinguait aisément les traits slaves de l'homme qui la maintenait tout contre lui. Il n'y avait aucun doute, il était bel et bien russe. Elle ne fut donc pas surprise d'entendre l'homme lui avouer qu'il ne s'appellait pas Kayne Hellsinger. Elle en aurait mit sa main au feu. Elle resta stoïque. Lachésis retint son souffle pendant les quelques minutes de silence qui suivirent ce aveu. Lachésis devint plus intriguée encore lorsqu'il lui implora son aide. Ainsi donc était-il à Evergloth pour une raison bien précise. Lachésis redoutait ses motivations. Peut-être était-il ici pour des raisons politiques. Dans quel cas elle serait sauve s'il travaillait pour le Consulat, dans le cas contraire... Elle se serait fait dupée et se trouverait entre les mains puissantes et impitoyables de ses ennemis monarchistes. La stratège eut même une pensée pour la Dame Masquée et ses attentats perpétrés contre les impérialistes. Peut-être était-il un de ces terroristes qui venait faire une autre victime.

Elle se détentit néanmoins en sentant le russe passer une main le long de son dos. Elle poussa même un soupir d'aisance et ferma les yeux. Lachésis n'aurait pu résister à rien en ce moment. Il pouvait faire ce qu'il voulait d'elle, la désarticuler, la tuer, la caresser, elle n'était plus qu'une poupée entre ses mains agiles et réclâmait son dû. Il aurait pu... s'il n'avait pas continué de parler. Elle ouvrit promptement les yeux pour entendre la suite.

- Je ne crois pas que notre rencontre soit le fruit du hasard... Je ne crois pas au hasard... Vous pouvez me jeter hors de cette pièce, me faire exécuter si cela vous chante. Je suis à votre merci, car j'ai besoin de vous...

... mais si vous voulez toujours partager cette chambre avec moi...

... je vous promets un récit qui ne vous laissera pas de glace...

... et bien plus encore, si vous le voulez bien...

La dernière phrase l'aurait scandalisée... Mais son corps manquait cruellement de chaleur et d'intimité qu'il les réclâmait à cris. Lachésis sentait les moindres caresse du Russe faire réagir ses moindres nerfs sensoriels. Heureusement pour elle, son visage ne laissait rien paraître de ce soudain engouement, affichant un air plus curieux qu'intrigué. Elle passa son index à l'ongle parfaitement manucuré sur la joue un peu râpeuse du bourgeois.

- «Vous avez une vision des choses un peu fataliste, mais je serais ravie d'entendre ce que vous avez à me dire.»

Elle se décolla discrètement et prit place sur un fauteuil. Son regard plongea quelques secondes dans les flammes dansantes.

- «Comment dois-je vous appeller, maintenant, charmant inconnu ?»

Un sourire amusé se dessina sur ses lèvres...

La soirée s'annonçait mouvementée.

- Viggor. Mon nom est Viggor Borgisov. commença-t-il, sans ton.
- Mais cela n'a pas d'importance... ici je suis Kayne Hellsinger... et j'aurais besoin de vous pour m'aider à le rester.
Sur ces paroles apparemment dénuées de sens, Viggor s'avança à une vitesse surnaturelle et posa ses lèvres contre celle de la belle femme. Il l'embrassa, sans retenue, avec une passion à faire pâlir les plus amoureuses de jalousie. Sa main s'était glissée sur la nuque de la noble, et son pouce lui effleurait doucement le dos de l'oreille. Le baiser se signa d'un bref silence, puis le russe recula de quelques pouces pour annoncer d'une voix douce ;
- J'ai un homme à tuer ici. Plusieurs même, peut-être. Mais avant tout je dois le trouver. Et je ne pourrai errer à loisir sans arborer un titre potable... J'ai besoin de vous Lachésis, pour me supporter dans ce rôle.
Son corps s'approcha encore un peu de celui de la conseillère, suffisamment pour que celui-ci sente sa chaleur, abondante et réconfortante. Le russe n'était pas l'homme le plus beau, mais son visage dénué de toute nervosité savait rassurer en un instant. Son regard vert émeraude faisait battre le coeur des femmes sans qu'elles ne sachent même pourquoi. Son allure n'était certes pas celle d'un homme ayant vécu dans la pauvreté. Il ne lui en manquait franchement pas beaucoup pour avoir l'air d'un noble crédible... Sa main droite vint prendre Lachésis par la taille avec délicatesse, y exerçant une caresse agréable et qui n'avait rien de vulgaire. sa voix tonna à nouveau, envoûtante.
- Je ne suis pas un fataliste... Je pense de façon pratique, et je crois qu'il est nécessaire de mettre au clair que je ne suis pas un hypocrite ou un ennemi. Je suis madame, à votre service...

À ces dernières paroles, Viggor avait émit un sourire machiavélique. La situation lui paraissait amusante, terriblement attrayante. À dire vrai, à cet instant même, il savait que malgré son charisme et son assurance, il ne serait pas indifférent à un rejet de la part de la politicienne. Il lui caressa le cou, y déposa quelques baisers et y jeta un fin coup de langue. Le bourgeois sentait la peau de la belle noble vibrer sous lui. Plus rien n'avait d'importance, à présent. Pas même sa quête de vengeance. Pas même les ombres dansant le long des murs de la chambre, épiant leurs faits et gestes dans un silence de mort...

(Haaa pardon c'est court !)

Il l'avait embrassée. Elle avait fermé les yeux et avait laisser la vague l'envahir. Elle n'avait perçu qu'un nom : Viggor. Les lèvres du russe étaient si chaudes et si agréablement douces. Elle sentit les poils de sa barbe lui chatouiller le visage et elle se hissa sur la pointe des pieds pour pouvoir apprécier davantage ce moment. Maintenant qu'elle était entrée dans le jeu, il n'était plus temps de reculer. De plus, il était si charismatique et si chaleureux qu'elle colla son corps contre celui de l'homme. Elle sentait à travers son corps les moindres soubresauts de l'électricité le long de son échine, les moindres palpitations du sang dans ses veines. Elle sentait également sa main dans son dos, une main qui se voulait caressante, tendre et si chaude. Lachésis aurait passé une nuit entière dans cette position de réconfort, mais il fallu qu'il se détache.

- J'ai un homme à tuer ici. Plusieurs même, peut-être. Mais avant tout je dois le trouver. Et je ne pourrai errer à loisir sans arborer un titre potable... J'ai besoin de vous Lachésis, pour me supporter dans ce rôle.

Voilà. Toute trace de passion suave s'évanouit d'un trait. Tuer plusieurs hommes. Ainsi était-il venu à Evergloth dans un désir de vengeance ou d'argent. Et maintenant, après avoir totalement ennivré la belle, réclâmait de l'aide de sa part pour s'octroyer les faveurs de la haute société. La mine qu'affichait maintenant la stratège était plutôt narquoise. Mais il s'était rapprocher, renoyant la bourgeoise dans une vague d'ivresse. Pourquoi pas ? L'aider, elle le ferait. Cependant, Lachésis n'était pas une idiote. Elle avait l'intention de l'aider, mais elle s'assurerait de le garder près d'elle pour avoir un oeil constant sur ses actions. Lachésis ne pouvait se permettre de le laisser tuer des membres du Consulat, si cela étaient ses desseins. Elle se détacha quelque peu du russe et posa son index sur ses lèvres en signe de réflexion. Un titre ?

- «Je vais voir ce que je pourrais faire pour vous... Je ne suis que stratège, je n'ai pas tous les droits. Je pourrais cependant vous obtenir quelque chose dans l'Armée...»

Oui, il serait beaucoup plus simple pour elle de lui octroyer un titre de soldat qui ferait l'amalgame parfait avec sa carrure impressionnante. Et puis le Général était son ami, elle pourrait passer un accord avec lui ou tout simplement pésenter Viggor comme un noble voulant prendre les armes pour sa France adorée... Le russe serait sans doute capable de passer les tests de sélection avec brio.

Lachésis eut un sourire lorsque celui-ci lui prit la taille. Elle posa son index sur la bouche du protagoniste lorsqu'il eut terminé sa phrase.

- «Maintenant que vous avez séduit une personne influente et que vous êtes parvenu à vos fins, il serait logique que j'y tire mon dû, n'est-ce pas ?»

Elle eut un sourire éloquent et posa ses lèvres roses sur les siennes, exerçant une délicate pression. La bourgeoise passa ses mains sous la chemise du russe, sentant les moindres muscles de celui-ci sous ses doigts avides...

La porte s'ouvrit à la volée sur la personne affolée de Dasha. Elle reprit son souffle quelques secondes avant d'agripper l'avant-bras de la belle en signe de détresse.

- «Pardon, Miss de Villars.»

Elle eut du mal à continuer, manquant de souffle.

- «La République de France a annoncé son désir d'envahir l'Amérique... Ils vous recquièrent au Consulat le plus tôt possible...»

Lachésis sentit son coeur faire un bond dans sa poitrine. Ses mains devinrent soudainement très froides et elle manqua de s'effondrer. L'Amérique devait être sous assaut seulement dans quelques mois, cette annonce était beaucoup trop précoce. Dasha se retira, laissant le couple dans un silence désarmant.

- «Dieu, ayez pitié...»

Elle avait laisser s'échapper ses mots contre sa volonté. Elle se tourna vers Viggor, le regard embué par la déception. Puis, elle reprit ses esprits et remit son manteau à la hâte. Elle revint auprès du russe, replongeant son regard de le sien.

- «Viggor, écoutez. Si vous voulez un titre accompagnez-moi en Amérique.»

Un long silence se fit entre les deux... Ponctué par des cris dans l'établissement. Apparement, la nouvelle n'était pas bonne pour tout le monde...

Viggor fut tout de même surpris par l'entrée soudaine de la femme de l'aubergiste. Il aurait cru que Lachésis aurait pensé à barrer la porte. Il resta toutefois calme et écouta sans s'énerver les propos de cette dernière.

La guerre.

Voilà un mot qui le laissait étonnamment froid. Depuis la mort de sa mère, et de façon plus précise encore au décès de son ami et mentor, Borgisov avait toujours concentré son attention sur la chasse du tueur nocturne... Tout ce qui importait maintenant, c'était de mener à bien cette quête. Aussi une pointe de déception et de frustration se lu dans son regard malgré l'habituelle retenu de son visage. Il savait que cette nouvelle allait donner beaucoup de travail à miss de Villars, lui compliquant la tâche à lui aussi... Quoi que, il pourrait sûrement en tirer des avantages. Viggor toisa Lachésis, sévère et penseur. À quoi bon aller en Amérique, alors qu'il était à deux doigts de son but ? Evergloth était tout près maintenant, et depuis quelques jours déjà il se promenait en restant sur ses gardes. Malgré sa désinvolture, son regard sondait tout ce qui l'entourait sans rien y laisser paraître. Il jaugeait les risques, les individus, et jusqu'aux moindres objets. Ne pas avoir noté que la porte était restée débarrée n'en tenait qu'au laxisme dont il faisait généralement preuve avec la gente féminine.

Mais l'offre de Lachésis restait une solution alléchante. Il devrait se creuser longuement la tête pour atteindre certaines parties de la ville sans un alibi solide. Les deux solutions contenaient de lourds désagréments. Viggor ferma les yeux, visiblement ennuyé, et répondit à la question de la belle conseillère.
- D'accord. Je vous accompagnerai donc.
Valait mieux ne pas laisser s'échapper une opportunité aussi intéressante. Cela tiraillait énormément le russe, mais valait mieux aujourd'hui jouer la carte de la patience. Ses investigations n'en seraient que plus réussies. De plus, il se sentait une obligation envers la jeune femme. Elle lui avait fait confiance ; il lui en était redevable. Viggor rouvrit les yeux à demi, fixa Lachésis, et ajouta ;
- Mais je veux garder le nom de monsieur Hellsinger.
C'était peut-être une drôle de demande. Peut-être pas non plus. Viggor sentait qu'il devait garder une part de son ami vivant pour ne pas oublier la vie qu'il avait vécu. À l'époque, il aurait aussi bien pu se sauver et aller essayer d'obtenir sa vengeance, et pourtant pendant de nombreuses années il était resté avec ce Duc sans famille et solitaire. Tant que cela serait possible, il endosserait ce personnage.

Les ombres parurent plus noires, dame de Villars un premier plan sombre et splendide d'un tableau diaboliquement morbide. Oui, ce n'était que partie remise. Il partirait seulement pour mieux revenir. Un sourire mystérieux apparu aux lèvres du russe. Sa voix de baryton retentit de nouveau alors qu'il empoigna son manteau, contrastant avec l'humour qui se glissait dans ses propos.
- Et je présume ma chère que nous n'aurons même pas une petite heure de répit au cours du voyage ?...

La guerre, l'Amérique. Pourquoi, diantres, avait-elle accepté cet emploi ? Certes, ce n'était pas la première fois que la bourgeoise se trouvait au coeur d'un conflit armé. Elle avait même profité de ces opportunités pour apprendre à manier le mousquet et l'épée. Même si les épées étaient trop lourdes pour elle, elle savait, cependant, manier le mousquet à la façon d'une émérite, rechargeant le tout en un rien de temps. Cependant, Lachésis n'avait jamais pu participer à une réelle bataille, se contentant de s'exercer avec les soldats encore debouts. Même si elle faisait un piètre soldat, elle était tout de moins une stratège surdouée. Lachésis connaissait les techniques de combat, les moyens de défense, l'influence de la structure de la terre et du climat. Elle avait apprit aux soldats une nouvelle technique de combat à mi-chemin entre la Phalange Macédonienne et les méthodes orientales. Combinée à un passage étroit et une pluie fine, la bataille était gagnée d'avance. Le seul inconvénient de son métier : elle pouvait partir à toute heure du jour ou de la nuit grâce aux caprices du Consulat. Et alors que cette soirée palpitante allait connaître son apogée...

Elle poussa un soupir agaçé. Au moins, ils auraient un peu de repos dans le train les menant en Espagne. Là, ils auraient sans doute un jour ou deux pour se préparer au voyage en Amérique. Maintenant, il ne restait qu'à savoir si le beau russe allait l'accompagner... Si ce n'était pas le cas, ils se reverraient dans très longtemps et Lachésis aurait eut le temps de laisser s'estomper cette soudaine passion pour Viggor. À la grande surprise de la stratège, il accepta de se rendre au Nouveau-Monde avec elle. La jeune femme ne put s'empêcher de sourire, dévoilant ses jolies dents lactescentes. Elle laissa échapper un cri de joie et sauta dans les bras du russe, replongeant son nez sur le cou de l'homme, humant une fois de plus ce parfum ennivrant. À cet instant, elle eut une envie immense de se rendre dans le lit et d'embrasser Viggor pendant de longues minutes, repoussant toujours l'heure fatidique où elle devrait se rendre au Consulat. Elle eut tout juste le temps de l'entendre lui faire la requête de garder son pseudonyme et elle l'embrassa fougueusement. Le contact de ses lèvres chaudes la rassura et elle put se détacher de son amant pour plonger son regard mordoré dans celui aux reflets verts.

- «Merci... Vous ne savez pas combien on peut se sentir seul au milieu d'une bataille, sans défense et sans chaleur...»

Elle passa sa main sur la machoire forte du russe.

- «Vous serez fortement récompensé de votre présence, je vous le promets.»

D'autres cris alarmés retentirent, dans les rues cette fois. Une clâmeur désaprobatrice s'élevant jusqu'aux plus hautes fenêtres, berçant la ville d'un chant macabre. Lachésis laissa une bourse remplie d'argent sur la table de chevet. Dasha avait été si gentille.

- Et je présume ma chère que nous n'aurons même pas une petite heure de répit au cours du voyage ?...

La jeune femme se retourna, un sourire amusé aux lèvres, une lueur espiègle dans les yeux. Ainsi ne perdait-il jamais une occasion de réclamer son dû...

- «Oh ! Le voyage est long jusqu'en Amérique, monsieur Hellsinger. »

Et avec un clin d'oeil éloquent, elle rajouta :

- «Et il fait si froid sur un bateau...»

[Suite --» Le Reste du Monde ]

(Je m'occupe de l'ouverture de l'autre topic ^^)